Dans un monde du travail en constante évolution et de plus en plus confronté à des
enjeux sanitaires, la politique publique aujourd’hui menée ne protège pas
suffisamment les travailleurs.
Le droit à la santé au travail dépasse la simple
obligation de conformité de l’entreprise à la loi.
Le SARS-CoV-2 et les risques
sanitaires collatéraux, notamment en matière de santé mentale, nous le
démontrent : il s’agit également d’un enjeu de santé publique.
Au moment où les partenaires sociaux mènent d’importantes négociations pour réformer
notre système de santé au travail, il est utile de rappeler que la prévention et la gestion des
risques sanitaires liés à l’activité professionnelle (risques physiques, risques psychosociaux,
risques majeurs) font d’abord partie des obligations de l’Etat à garantir efficacement et
effectivement le respect du droit fondamental à la vie et à la dignité de l’être humain, y
compris au travail.
Figurant dans les conventions de l’Organisation internationale du travail
(OIT), dans le droit de l’Union européenne et le droit national, la santé au travail,
particulièrement dans le contexte de pandémie actuelle, ne fait pas l’objet d’une protection à
la hauteur de cet enjeu.
Les négociations en cours font craindre que la santé au travail ne soit ni élevée au rang de
problématique de santé publique, ni, par conséquent, dotée des moyens qu’exigent les
principes de sécurité sanitaire.
C’est donc encore sur les seules entreprises que risque de peser la responsabilité de la santé
des travailleurs, alors qu’elle nécessite une action publique forte et organisée. De la même
façon qu’il est exigé des entreprises la mise en place d’organisations du travail saines et
tournées vers la prévention, l’Etat doit se doter d’une politique, d’une organisation et de
moyens conformes à ses obligations de protéger la santé de nos concitoyens au travail.
Le paysage institutionnel actuel, illisible pour le commun des mortels, laisse entrevoir
désorganisation, manque de moyens, absence de volonté forte affichée par l’Etat, entraves à
l’action publique, par exemple celle de l’inspection du travail, sans compter les messages
contradictoires qui, en cette période de Covid-19, égarent les entreprises.
L’Etat ne fait preuve
d’exemplarité ni en matière d’organisation institutionnelle, ni même en tant qu’employeur.
Obligation de jongler
:
Le droit de la santé publique exige que les dimensions sanitaires du travail fassent l’objet
d’une gestion publique.
L’action de l’Etat est, dans d’autres domaines de la santé, organisée au
sein de systèmes de vigilance sanitaire spécifiques : la pharmacovigilance pour les
médicaments, la biovigilance pour les organes humains, la cosmétovigilance pour les
produits cosmétiques, etc.
Chacun de ces systèmes comprend des missions de veille, de
surveillance, de signalement, de gestion, de traitement et de prévention des risques sanitaires
spécifiques.
Or, il n’existe à ce jour aucun système de vigilance sanitaire spécifique à la santé
au travail.
L’éradication de la pandémie actuelle aurait pourtant bien besoin du soutien d’une vigilance
sanitaire réservée au travail, que l’on pourrait qualifier de « sociovigilance ».
En son absence,
les entreprises doivent jongler entre le respect de la vie privée des salariés (confidentialité des
données médicales) et leur responsabilité juridique en matière de prévention de la contamination en milieu professionnel.
Or, les différents organes de l’Etat détiennent des
données qui, si elles étaient traitées dans le cadre d’un système de vigilance sanitaire,
permettraient d’identifier, dans les entreprises, les foyers de contamination de manière
précoce.
Il en est d’ailleurs de même pour les autres risques, qu’ils soient physiques ou psychosociaux.
Les entreprises dans lesquelles sévissent des atteintes importantes à la santé des travailleurs
pourraient être identifiées et faire l’objet d’une action préventive des pouvoirs publics.
L’Urssaf connaît le nombre d’entrées et de sorties des travailleurs dans une entreprise et, par
conséquent, le taux de rotation du personnel qui, lorsqu’il est élevé, peut prédire l’existence
de conditions de travail dégradées.
De même, la Sécurité sociale peut établir un taux d’arrêts
de travail qui peut aussi être un bon indicateur des conditions de travail.
La création d’un
système de « sociovigilance » destiné à la santé au travail semble aujourd’hui indispensable.
Nina Tarhouny est experte indépendante en santé au travail, docteur spécialiste en droit et
prévention organisationnelle des risques psychosociaux au travail,
fondatrice du cabinet de
conseil Global Impact
Le Monde, édition papier, 19/10/2020, idées
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