by Michel Miné
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2 April 2020
La Loi no 2020-290 du 23 mars 2020 prévoit des dispositions afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de l’épidémie de covid-19 (article 11). En application, le gouvernement a pris une série d’ordonnances, notamment l’ordonnance no 2020-323 du 25 mars prévoyant des dispositions dérogatoires au code du travail et aux accords collectifs en matière de temps de travail et de congés payés. Ces nouvelles règles ne pourront être mises en œuvre dans les entreprises que dans le respect du droit de l’Union européenne et du droit européen du Conseil de l’Europe (la Charte sociale européenne) pour assurer les droits fondamentaux de la personne. Dans chaque entreprise, le dialogue social, nécessaire à la construction de solutions partagées et efficaces, devrait être mis en œuvre en ce temps de crise. De nouvelles limites Dans les entreprises relevant de « secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale », déterminés par décret (à paraître), de nouvelles limites sont fixées, pour une période longue pouvant s’étendre jusqu’au 31 décembre 2020, soit bien au-delà de la période de crise sanitaire prévisible en France. L’ordonnance ne prévoit pas de négociation collective de l’employeur avec les organisations syndicales sur la mise en œuvre des dérogations. L’employeur qui recours à une de ces dérogations n’a plus à demander son avis au comité social et économique, simplement il l’en informe. Le dialogue social est ignoré comme s’il s’agissait d’une contrainte ou d’une démarche superflue en temps de crise alors que ce dialogue entre l’ensemble des parties prenantes est nécessaire pour construire des solutions pertinentes et équilibrées à propos d’importantes modifications du temps de travail susceptibles de durer plusieurs mois. Le dialogue social dans l’entreprise, comme la démocratie dans la Cité, n’est pas un problème mais la voie pour identifier au mieux des solutions. Jusqu’à soixante heures hebdomadaires Cette durée figure dans le code du travail depuis la [loi n°46-283 du 25 février 1946]. Il s’agissait alors de reconstruire le pays, après la Seconde Guerre mondiale, et de permettre le recours aux heures supplémentaires au-delà de la durée hebdomadaire fixée par le Front populaire à 40 heures en 1936. La durée hebdomadaire maximale est de 48 heures depuis l’ordonnance du 16 janvier 1982. Cependant, le code du travail prévoit déjà « en cas de circonstances exceptionnelles » des autorisations administratives de dépassement dans la limite de 60 heures, pour des entreprises ou des secteurs (les établissements de crédit pour la réalisation des opérations liées au passage à l’euro de septembre 1998 à mars 1999 ; les exploitations agricoles de la région Hauts-de-France de juin à octobre 2019 ; etc.). Cette dérogation doit être mise en œuvre dans le respect de la directive européenne du 4 novembre 2003, fixant des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière de temps de travail, selon laquelle la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n’excède pas 48 heures, y compris les heures supplémentaires, sur une période de référence ne dépassant pas 4 mois. Dans ce cadre, la durée hebdomadaire de travail moyenne calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives passe de 44 heures à 48 heures. Par conséquent, si des semaines de travail vont jusqu’à 60 heures, elles devront être compensées par des semaines avec des durées du travail réduites (36 heures) pour que les salariés ne travaillent pas plus de 48 heures en moyenne. Quel sera le traitement de ces heures supplémentaires ? Le régime des heures supplémentaires, issu en dernier lieu de la « loi Valls-El Khomeri » du 8 août 2016, n’étant pas modifié, ce sont les accords d’entreprise ou, à défaut, de branche qui déterminent : les majorations pour heures supplémentaires, d’au minimum seulement 10 % (à défaut d’accord collectif, les majorations sont de 25 % pour chacune des 8 premières heures supplémentaires – de la 36e à la 43e et de 50 % pour les heures suivantes – à partir de la 44e, comme en 1946) ; Le contingent (volume) d’heures supplémentaires par an et par salarié (à défaut d’accord collectif, le contingent est de 220 heures). Par ailleurs, le salarié ayant effectué des heures supplémentaires au-delà du contingent, soit un nombre important d’heures supplémentaires, a droit à une contrepartie obligatoire en repos : 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent pour les entreprises de 20 salariés au plus, soit une demi-heure par heure supplémentaire ; 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de 20 salariés, soit une heure de repos par heure supplémentaire. Dès que la durée de ce repos atteint 7 heures, il peut être pris par journée entière ou par demi-journée à la convenance du salarié. Selon la jurisprudence, le salarié peut invoquer un motif légitime pour refuser d’effectuer des heures supplémentaires fréquentes : non-respect de son contrat de travail ; défaut d’octroi de contreparties par l’employeur ; atteinte à ses droits fondamentaux en matière de préservation de sa santé ou de sa vie familiale, au regard des durées du travail importantes. D’autres limites sont modifiées : La durée quotidienne maximale de travail fixée à 10 heures peut être portée jusqu’à 12 heures. Pour les travailleurs de nuit, la durée quotidienne maximale de travail peut être portée jusqu’à 12 heures (avec en contrepartie un repos compensateur égal au dépassement de la durée de 10 heures) et la durée hebdomadaire moyenne jusqu’à 44 heures. La durée du repos quotidien entre deux journées de travail peut être réduite de 11 heures jusqu’à 9 heures consécutives (avec en contrepartie un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n’a pu bénéficier). Il peut être dérogé à la règle du repos dominical en attribuant le repos hebdomadaire par roulement (Cette dérogation s’applique également aux entreprises qui assurent aux entreprises des secteurs d’activités nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale des prestations nécessaires à l’accomplissement de leur activité principale). Le principe du repos hebdomadaire, garanti par le droit européen, demeure inchangé. Pour chacun des secteurs d’activité concerné, un décret (à paraître) doit préciser, les dérogations admises, dans les limites précitées. Congés payés L’employeur est autorisé, dans la limite de six jours de congés payés (soit une semaine), à décider de la prise de jours de congés acquis par un salarié (y compris avant le 1er mai) ou à modifier unilatéralement les dates de congés déjà posés (en respectant un délai de prévenance très court d’au moins un jour franc), à fractionner les congés sans l’accord du salarié et à fixer les dates des congés sans être tenu d’accorder un congé simultané à des conjoints ou des partenaires liés par un PACS travaillant dans l’entreprise. La période de congés imposée ou modifiée est étendue, pouvant aller jusqu’au 31 décembre 2020. La mise en œuvre de ces dérogations par l’employeur n’est possible que par la conclusion d’un accord collectif avec les organisations syndicales dans l’entreprise ou, à défaut, d’un accord de branche. Les congés payés ne sont pas seulement une période où le salarié est dispensé de toute activité professionnelle pour le compte de l’employeur. Comme l’affirme la Cour de justice de l’UE, en application de la directive précitée, « la finalité du droit au congé annuel payé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs. » (depuis CJCE, grande chambre, 20 janvier 2009. Pendant cette période, la personne exerce sa liberté, notamment de se déplacer et de voyager. Par conséquent, un salarié ne saurait être en congés payés pendant une « période de confinement » imposée par les pouvoirs publics. Pour la Cour, « le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé » ; il a déjà été jugé qu’un salarié ne peut donc être en même temps en congé maternité, en arrêt maladie, etc., et en congés payés. « Lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 », des dispositions dérogatoires comparables sont prévues concernant la prise de jours de repos (RTT, conventions de forfait, compte-épargne temps), non prévus par le droit européen. Dans ce cas, l’employeur peut décider seul d’imposer ou de modifier la prise de jours dans la limite de dix jours. Le dialogue social est ignoré au profit d’une gestion unilatérale. Dans la mise en œuvre de ces nouvelles règles (congés payés, travail le dimanche, etc.), il sera nécessaire d’assurer le respect du droit fondamental de mener une vie familiale normale, prévu aux niveaux international et européen et mis en œuvre en droit interne. Ce droit implique notamment que des couples puissent bénéficier de leurs congés et de leur repos dominical ensemble, en particulier pour exercer leurs responsabilités familiales. Dans les périodes de crise, l’effectivité des droits de l’homme est essentielle pour les êtres humains et pour que la société tienne debout. 31 mars 2020 par : Michel Miné Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnam/Cnrs, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) in : THE C O NVERSATION L’expertise universitaire, l’exigence journalistique